Le féminisme n’existe pas, il existe des pratiques féministes aux stratégies multiples.
« Dans l’espace cyber, les hommes ne peuvent pas nous interrompre. » (Kathy Rae Huffman)
Elles se soutiennent techniquement, elles mettent en réseau l’information concernant les femmes qui ne circule pas dans les media dominants.
L’histoire du féminisme dans les années 70, c’est, entre autres, une dénonciation des stéréotypes qui fixent une certaine identité de LA femme. C’est aussi l’analyse du regard masculin comme le seul a être autorisé, à faire autorité (plus particulièrement dans le cinéma hollywoodien). D’où la nécessité, malheureusement toujours de mise, de mettre en commun des informations que l’on ne trouve nulle part. Les outils sont pratiques, économiques, ludiques, puissants et utiles.
Elles s’autodéfendent par une surveillance et la dénonciation ironique de l’injustice envers les femmes.
Elles relisent l’histoire.
L’histoire de la relation des femmes à la technologie dément le lieu commun d’une technophobie féminine. Sadie Plant fait émerger des femmes dans l’histoire des sciences. Ada Lovelace devient alors l’origine perdue de l’espace féminin, existante depuis toujours dans la technologie. Ada est la créatrice du programme pour un ordinateur, le logiciel. Un logiciel écrit pour le moteur analytique de Babbage, une des premières calculatrices. En 1843, elle imagina les applications qui verront le jour un siècle plus tard : composer des musiques complexes et produire des graphiques. La partie noble de la technologie étant alors réservée aux hommes : la construction des machines, le matériel. Ironie de l’Histoire.
Elles changent le sens du signe « femme » dans l’histoire des représentations de la Science.
Dans l’histoire des sciences, la figure de la science est la femme, muse inspiratrice du génie scientifique masculin. Cette image persiste sous la forme de femmes-robots, telle la « Maria » du film Métropolis. Pour Zoé Sofoulis, une des lectures possibles des femmes-robots, est qu’elles représentent « le symptôme des fantasmes masculins de domination de la nature, de la reproduction sans les femmes, en les remplaçant de manière agressive par un simulacre obéissant. (…) Une autre lecture serait la peur provoquée par la femme technologique. Les femmes et les technologies peuvent être positionnées comme structurellement équivalentes : des outils que les hommes utilisent. Mais plus elles sont sophistiquées, plus elles sont capables d’insurrections, échappant au contrôle de leurs constructeurs et maîtres. Donc plutôt que de répondre dans la terreur d’être dominées par les machines, les femmes s’identifient aux machines comme des figures d’un pouvoir transgressif. »
Cyberféminismes : une histoire
En 1991, à Adelaïde, une ville coquette d’Australie quatre filles qui s’ennuyaient décident de se faire plaisir avec l’art et les théories féministes françaises. Elles créent une mini-entreprise VNS Matrix. Dans leur premier texte, « Un manifeste cyberféministe pour le XXIe siècle », en hommage à Donna Haraway et à son texte « Cyborg manifesto », elles commencent à jouer avec l’idée du cyberféminisme. Les VNS Matrix prônent une sexualité dont elles sont les sujets, une sexualité futuriste qui s’approprie le vocabulaire des technologies cyber et les imaginaires des cyberpunks. Le clitoris/phallus devient l’instrument de rupture de l’ordre symbolique. Un ordre produit par l’unité centrale (l’ordinateur) des « pères ». Cela a commencé par une combustion spontanée, de quelques endroits en Europe, aux Etats-Unis et en Australie, le cyberféminisme est devenu un « même » infectant la théorie, l’art et les universités. Ce qui était une impulsion est devenu un objet de consommation. Ca fonctionne comme les aiguilles d’acupuncture, ca fait circuler l’énergie. De la science fiction aux fictions de la science :La critique féministe avait déjà posé les genres masculin /féminin comme une construction culturelle et sociale, différenciant ainsi genre et sexe biologique. Les cyberféministes, tout comme la troisième vague de féministes anglo-saxonnes remettent en cause le naturel de la biologie.
« Je préfère être un cyborg qu’une déesse » (Haraway)
La figure du cyborg tel que Donna Haraway l’a décrit dans le texte utopique et visionnaire Cyborg manifesto, « est un organisme cybernétique, un hybride de machine et d’organisme, une créature de la réalité sociale aussi bien qu’une créature imaginaire (…) La science de la biologie que l’on a l’habitude de penser comme nature qui est remise en question par cette nouvelle subjectivité produite par l’intégration de l’être humain avec la machine. » Ce texte remet en question radicalement les alliances dites naturelles ; et propose des alliances perverses entre les femmes, les machines, le monde animal : le cyborg… comme stratégie politique.
Donna Haraway opère à travers ce texte un réalignement sémantique tout en écrivant une autre langue, son texte est dense, écrit par couches superposées. Insaisissable, elle se défend d’une communication claire, des théories universelles totalisantes. L’ironie est « la stratégie rhétorique et la méthode politique ».
« La politique du cyborg est la lutte pour le langage et la lutte contre la communication parfaite, contre le code unique qui traduit parfaitement chaque sens, le dogme du phallocentrisme. C’est pourquoi la politique du cyborg insiste sur le bruit et préconise la pollution, jouissance des fusions illégitimes de l’être humain et de la machine. »
Cette association être humain/machine déstabilise les catégories, les modes de production de l’identité, « bouleversant la structure et les modes de reproduction de l’identité « occidentale », les mode de reproduction de la nature -de la culture, du miroir – de l’oeil, de l’esclave – du maître, du corps – de l’esprit. » Les technologies de l’information, les technologies génétiques transforment la nature en un système de code re-programmable. Les machines ne sont ni des démons, ni des outils d’enfermements, elles peuvent aussi être libératrices « L’image du cyborg peut suggérer une issue au labyrinthe dualiste par lequel nous nous avons décrit nos corps et nos instruments. (…) Ce qui signifie construire et détruire les machines, les identités, les catégories. »
« Je préfère être un cyborg qu’une déesse ».
Elles sont des bad girls, et elles aiment les machines, elles jouent avec l’identité…
PS :
Copyright © Nathalie Magnan. Article publié dans Synesthésie, numéro 9.