Max Nettlau, quelques idées fausses sur l’Anarchisme

 

Max Nettlau, Quelques idées fausses sur l’Anarchisme, 1905, picoré sur www.panarchy.org

Note

Dans ce texte, l’historien et théoricien de l’anarchisme présente très clairement ses idées sur la vraie nature de l’anarchie. Le centre de sa conviction est la conception de la liberté comme autonomie, c’est-à-dire absence de soumission. Pour Nettlau, l’anarchie est « l’organisation volontaire au lieu de l’organisation autoritaire. » Cela veut aussi dire que chacun peut se détacher de l’Etat (sécession) et établir sa propre organisation sociale selon les principes économiques (communisme, capitalisme, mutualisme) qui lui paraîtrons plus convenables. Lequel de ces « ismes » ont veut aussi réaliser ne représente pas une question à décider par les anarchistes mais une libre choix de chacun; et en effet, la volonté de faire passer l’anarchisme comme une théorie sociale à faveur du communisme ou du capitalisme fais partie, selon Nettlau, des fausses idées de l’anarchisme.
Cette vue fait ressembler beaucoup l’anarchie de Nettlau à la panarchie de de Puydt dont il sera un des plus convaincants estimateurs. (voir: Max Nettlau, Panarchie. Une idée oubliée de 1860).

 

L’anarchisme peut être divisé en trois catégories: l’école révolutionnaire de Bakounine et Kropotkine, connue sous la dénomination d’anarchisme communiste; l’anarchisme éthique ou philosophique de Godwin, Proudhon et Tucker; et, enfin, l’anarchisme religieux de Tolstoï.Aussi, lorsqu’on parle des idées fausses que d’aucuns se font de l’anarchisme, il ne faut pas oublier que non seulement chacune des tendances est mal interprétée, mais encore que la confusion résulte de l’existence même desdites tendances, nécessairement antagoniques dans quelques extrêmes.

De la même façon ceux qui émettent ou se forment des idées fausses sur l’anarchisme constituent des catégories bien distinctes. Afin de faciliter nos démonstrations, nous les classerons en trois types différents: les conservateurs, qui détestent et redoutent toute proposition radicale de rénovation sociale; les socialistes et autres réformistes, qui ne peuvent souffrir qu’on poursuive un objectif différent de celui qu’ils se proposent; et, enfin, les anarchistes eux-mêmes qui croient posséder le monopole de la vérité.

Ces idées fausses sont nombreuses et variées, mais ce n’est pas ici le cas de les examiner toutes. Je bornerai donc mes observations à quelques-unes d’entre elles seulement et particulièrement à celles qui se rapportent à l’école révolutionnaire, comme étant celle qui fait le plus de bruit, qui soulève le plus de réprobations et qui est la moins comprise.

La première et la plus importante des fausses conceptions de l’anarchisme, soutenue de bonne foi ou à dessein par amis et adversaires, est celle qui prétend que Anarchie, Communisme et Révolution constituent une trinité indissoluble, de façon qu’on se représente souvent la première tenant d’une main la révolution sanglante et de l’autre le communisme évangélique. La révolution apparaît inévitablement sanglante et le communisme comme une inéluctable nécessité économique.

Que la formation de semblables erreurs soit en partie causée par les enseignements mêmes de quelques-uns des propagandistes de l’anarchie, cela ne peut être nié. Comme toute généralisation non dérivée d’inductions, la conception de l’anarchisme fut hardie mais vague. Elle ne put, en outre, ainsi que beaucoup d’autres idées, se soustraire, au début, à l’influence des idées voisines.

La naissance de l’anarchisme coïncide avec la période révolutionnaire de 1848-71. Les traditions de la grande révolution française persistaient, toujours fraîches, dans l’esprit populaire; le milieu était imprégné du désir de changements politiques et sociaux et les aspirations des hommes s’élevaient aux conceptions les plus hardies. La construction de barricades constituait alors une industrie encore florissante. Ce fut à une époque où se fabriquaient des constitutions de papier et des systèmes sociaux, que surgit précisément le système antiautoritaire.

Les plus vives critiques envers la tyrannie de l’Etat ne pouvaient que rencontrer l’approbation des plus impatients et persécutés révolutionnaires de cette époque. L’idéal d’une société sans autorité, an-archiste, leur inspira la volonté opiniâtre d’agir contre les pouvoirs constitués, et leur amour naissant de l’Humanité ne pouvait se satisfaire que par la plus haute expression de la fraternité humaine, par la réalisation du communisme fraternel.

Mais, s’il est historiquement certain que les premiers anarchistes furent avant tout des communistes révolutionnaires, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’anarchisme soit impossible en dehors des principes économiques du communisme et sans avoir recours à la révolution violente. Théoriquement il n’y a aucun lien essentiel entre les trois conceptions, bien que bon nombre de personnes croient fermement à cette trinité comme à un tout. Ceux qui ne croient pas à la nécessité d’un gouvernement peuvent être ou ne pas être partisans de la révolution et de la propagande par le fait; ils peuvent ou non préconiser le communisme.

La garantie de la liberté, dans les relations sociales, du principe du concours volontaire ou du droit de sécession de l’organisation sociale, suppose, comme je l’expliquerai plus loin avec plus d’ampleur, une seule condition économique fondamentale, qui est: égalité de moyens pour obtenir l’indépendance économique. D’autre part, sur le terrain des faits, l’anarchisme américain, comme l’exposait son fondateur Josiah Warren ainsi que très expressivement Thoreau, est entièrement indépendant des deux tactiques communiste et révolutionnaire. L’anarchisme de Benjamin Tucker, généralement le plus logique et le plus conséquent, est décidément opposé au système communiste et extrêmement pacifique dans ses moyens. Proudhon lui-même essaya d’établir l’anarchie au moyen d’une Banque du Peuple et de l’Echange du Travail.

Il est ainsi évident qu’identifier l’anarchisme avec le communisme et la révolution et une conception fausse de sa théorie et contraire aux manifestations de son histoire. Néanmoins, nous entendons toujours répéter cela, de bonne foi de la part des sympathisants, qui devraient cependant le connaître un peu mieux, et intentionnellement de la part des réactionnaires et des politiciens socialistes qui ont tout à gagner en entretenant ces erreurs discréditant les anarchistes aux yeux du Peuple.

Comme exemple de cette ignorance voulue pour ce qui concerne l’anarchisme, je citerai quelques passages d’un livre paru il y a quelques mois et accueilli par les louanges de la presse socialiste américaine qui le qualifia le « livre remarquable, d’un homme remarquable ». A la page 332 de l’Histoire du Socialisme aux Etats-Unis, on peut lire ce qui suit:

« Les anarchistes, en se refusant à reconnaître le caractère organique de la société humaine, nient le cours graduel et logique de son évolution. Le monde serait en tout temps disposé selon le vouloir des révolutionnaires les plus radicaux, et ce qu’il faut pour établir le bien-être c’est un coup de main d’hommes décidés et capables de risquer leur vie pour l’émancipation du peuple opprimé.

« Conséquents avec leur point de vue, les anarchistes repoussent l’action politique comme une farce nuisible et dédaignent les efforts des associations ouvrières et du mouvement socialiste tendant à améliorer les conditions de la classe ouvrière, comme étant des moyens réactionnaire destinés à retarder la révolution en supprimant le mécontentement des ouvriers pour leur état actuel. Les efforts des anarchistes consistent à semer la révolte parmi les pauvres et à entretenir une guerre personnelle avec ceux qu’ils considèrent comme les responsables de toute l’injustice sociale, les grands et les puissants de toutes nations. Leurs armes sont la propagande, par la parole et par le fait.»

Cet homme remarquable paraît ne pas même avoir lu une simple brochure anarchiste. Chaque affirmation de ces passages est une absurde interprétation de phrases cueillies dans les discours passionnés que le vétéran révolutionnaire John Most prononçait il y a une quinzaine d’années. La théorie anarchiste est malheureusement si peu comprise, qu’un tel fatras d’absurdités trouve facilement crédit même parmi les écrivains, pour ne pas parler des pieux lecteurs qui sont épris d’une sincère horreur pour « les dangereuses théories de ces terribles fous qui s’appellent anarchistes ».

Une autre des plus importantes parmi les fausses idées sur l’anarchisme, dont il est nécessaire de parler parce qu’elle affecte son principe fondamental, est celle qui a trait à la conception de la liberté individuelle.

On abuse beaucoup de cette locution. Au nom de la liberté, les bourgeois satisfaits défendent jusqu’à l’esclavage de nos temps et pour leurs successeurs, pour le socialisme qui aspire au pouvoir politique, la liberté est parfaitement compatible avec l’esclavage futur. L’anarchisme est détesté parce qu’on le suppose partisan de la liberté sans frein, de la licence grossière, ce qui ne pourrait que détruire toute vie sociale, ce pendant que les anarchistes mêmes ne tombent pas d’accord sur la définition du mot. L’école philosophique se conforme à la formule spencérienne de la liberté égale, c’est-à-dire que chacun soit libre de faire ce qui lui plait autant qu’il ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui. Le problème ne se résout cependant pas ainsi, il avance seulement d’un pas, car la formule ne contient pas la définition de sa clause limitative. Qu’est-ce qui constitue, en effet, un empiétement sur la liberté d’autrui? La question se reproduit plus en avant et paraît être fondamentale, car ce n’est pas le principe de liberté qui sert de ligne de conduite, mais bien les limites de la liberté, ce qui nous fait revenir à la conception même de la liberté garantie par les lois qui régissent notre vieille société bourgeoise.

L’école anarchiste « non philosophique » rejette une telle formule. Pour ses partisans, la liberté n’implique rien moins que cet état de choses idyllique, où chacun serait libre non seulement de faire, mais encore de jouir de toute chose. Ils ont confiance, antiphilosophiquement pour sûr, en la bonté inhérente à la nature humaine, et refusent de limiter en quoi que ce soit la liberté. C’est cette aspiration des anarchistes communistes vers la parfaite liberté idyllique, qui pousse les réformateurs bienveillants, mais prudents, à exprimer cette sympathique opinion que : « l’anarchisme est certainement un bel idéal, mais… combien impraticable!»

Nous avons ainsi l’anarchisme, exécré, d’une part, comme théorie infernale de malheur et de désordre, et idéalisé, de l’autre, comme un rêve magnifique, mais irréalisable.
Or, la liberté que préconisent les anarchistes n’est ni terrible à produire le chaos, ni mirifique à rendre sa réalisation impossible. On l’a tout simplement mal comprise. On parle toujours de liberté comme s’il agissait d’une force positive, d’une arme, de quelque chose dont les individus pourraient faire un bon ou mauvais usage. Fréquemment nous arrive-t-il d’entendre dire : « Donnez la liberté à l’homme et il en abusera pour faire du mal à son voisin » ; ou alors, au contraire : « Donnez la liberté à l’homme et il sera bienveillant et plein d’égards pour autrui. » Mais la liberté n’est pas une chose qui se donne. Ce n’est pas un titre de propriété ou une lettre de cachet avec laquelle nous puissions faire ce qui nous plaît. Essentiellement la liberté est une simple relation, une condition négative, l’absence de quelque chose de positif dans ses manifestations, c’est-à-dire l’absence de soumission.

Ainsi la liberté est une relation sociale, non une faculté individuelle. Hors de la société nous ne pouvons d’aucun façon nous représenter la liberté. Nous pouvons faire absolument tout ce que nous voulons sans que cela implique toutefois aucunement la question de la liberté. Nos actes ont une signification uniquement lorsqu’ils affectent les autres, lorsqu’ils ont une relation définie avec les actes d’autrui, c’est-à-dire lorsqu’ils constituent des actes sociaux. En parlant de liberté nous ne faisons de plus que caractériser tout simplement la relation de nos actes avec les actes d’autrui; nous montrons en outre que notre activité ne doit porter atteinte à l’activité de personne. Dans les relations d’homme à homme, être libre ne signifie nullement être investi du pouvoir de diriger autrui; cela signifie accroître les avantages qui résultent de la condition négative de ne pas être dirigé par lui.

On dit souvent : « Il est fort beau de parler de liberté parfaite pour l’avenir, lorsque les sentiments altruistes se seront développés et auront remplacé les sentiments égoïstes et que l’intérêt des hommes consistera principalement, comme le dit Spencer, à être mutuellement des auxiliaires. Mais avec les conditions actuelles de l’humanité et les relations compliquées des intérêts en conflit, il faut que la restriction, plutôt que la liberté, continue d’être le guide principal de l’organisation sociale. »
Tout le fallacieux que contiennent ces paroles est dû, lui aussi, à une conception erronée de la liberté. Il ne s’agit pas de faire un sacrifice au bénéfice d’autrui. Elle ne procède pas de l’altruisme, de l’idée de l’appui mutuel. Aucun impératif, devoir pour autrui, etc., mais le pur égoïsme, tendant à l’affranchissement de l’individu.

La définition de la liberté individuelle n’est pas que chacun fasse ce qui lui plaît, à la condition, exprimée ou tacite, de ne pas entraver son voisin, mais bien que chacun puisse s’abstenir de faire ce qui ne lui plaît pas, sans condition de sorte.
Si la liberté individuelle est incompatible avec l’organisation sociale, tant pis pour cette dernière.
Laissez l’individu seul: ne l’obligez pas, au nom de la société, à faire ce dont il ne ressent pas la nécessité, et vous ne vous verrez pas obligés à l’astreindre pour qu’il fasse ce dont il a besoin. Le but de la société est le développement de l’individu et non vice versa. L’organisation sociale a son importance seulement en tant qu’elle facilite l’explication des initiatives individuelles: plus la liberté personnelle y est complète et plus elle s’approche de son but.

L’anarchisme est la négation de l’organisation autoritaire, mais évidemment pas de toute organisation. Il ne méconnaît point de caractère organique de la société, ni le cours graduel de son développement. Cependant, tout en reconnaissant le caractère organique de la société, il ne s’ensuit pas qu’on l’envisage comme un organisme dans le sens absolu du mot, c’est-à-dire un organisme où tous les organes composants obéissent en esclaves à la volonté d’une autorité centrale, comme au plus haut sensorium. L’organisation politique de la société est une conception tout à fait distincte de l’organisation biologique. La société est une organisation sans organes spéciaux et fondée uniquement en vertu des relations mutuelles unissant les individus. Quel est le caractère de ces relations mutuelles? A la science politique de répondre. Quel devra être, ou mieux, quel sera le caractère de ces relations mutuelles à l’avenir? L’anarchisme enseigne qu’il sera libertaire, que ces relations mutuelles, c’est-à-dire que l’organisation sociale devra être volontaire et non autoritaire.

L’individu ne doit obéissance et fidélité à aucune personne ou groupe de personnes. Il est libre, parfaitement libre de joindre ses efforts à ceux de ses semblables, et pour les fins et par les moyens qui lui plairont le mieux, ou de rester isolé et ne pas participer aux travaux et, par conséquent, aux bénéfices de toute entreprise sociale. Le principe de la liberté individuelle, c’est le droit à la sécession, le droit de se séparer à chaque instant de l’organisation politique constituée; le droit de ne point faire ce dont on ne sent la nécessité, le droit de ne pas se conformer aux décisions de la majorité; c’est, en somme, le droit à la possession absolue de sa propre personnalité.

L’idée de l’archisme, de l’Etat, dans toutes ses manifestations et formes, se base sur la théorie qu’une portion de la société – une minorité dans la forme oligarchique de l’Etat, une majorité dans la forme démocratique – a le droit d’obliger tout le reste à accomplir ses vouloirs. Toutes les formes d’organisation d’Etat nient en principe le droit de leurs membres constituants de se séparer, individuellement ou en groupe, de telle organisation. Aucun Etat ne souffre, dans sa juridiction, l’existence de toute autre organisation politique, indépendante de son autorité. Pour les partisans du gouvernement, il n’y a rien de plus dangereux qu’un « Etat dans l’Etat ». L’anarchisme soutient un point de vue diamétralement opposé à celui de l’Etat oppresseur. Il préconise l’élection individuelle, au lieu de la loi des majorités; la liberté de ne pas accomplir les ordres de l’autorité, bref, l’organisation volontaire au lieu de l’organisation autoritaire.
L’anarchisme veut tout cela, mais rien de plus. Et j’en viens à considérer une autre fausse idée sur l’anarchisme.

On pense ou, du moins, on affirme invariablement que l’anarchisme suppose un système économique particulier sans lequel il ne serait pas possible ou ne pourrait point prospérer. Je ne parle pas contre les anarchistes qui préfèrent le communisme, la propriété privée ou tout autre système comme une condition économique désirable par elle-même; je parle simplement contre ceux qui voient dans l’un ou l’autre de ces systèmes une condition indispensable au développement de l’organisation anarchiste niant ainsi toute possibilité de l’anarchisme non accompagné d’un autre « isme » supplémentaire. A cet égard, aussi bien les communistes que les individualistes se trouvent dans l’équivoque. L’argument des premiers est que l’homme ne pourra être parfaitement libre qu’autant qu’il pourra consommer tout ce dont il a besoin, et des biens de la terre et de sa part dans la production. Et, en outre, que l’équivalence des fortunes constitue une nécessité absolue pour la sauvegarde de l’institution de la liberté.

L’argument des individualistes, partisans de la propriété privée, est que la communauté constitue essentiellement une exploitation des forts de la part des faibles, qui, en premier lieu, contrarie le progrès de la race et, en général, aliène la liberté des plus forts au profit des plus faibles.
Aux arguments des communistes, je répondrai: Vous ne pourrez certainement être suffisamment et parfaitement libres en ce monde, car, même en communisme, vous ne vous verriez libres ni des maladies, ni des infirmités ou de la mort inévitable, des maux et des douleurs innombrables dont le corps et l’esprit humains sont héritiers. Il est fort douteux que même un communiste ait une « volonté libre » sur soi-même.

Je ne veux pas dire par là qu’il ne soit point désirable d’obtenir toutes ces libertés, mais je conteste catégoriquement que sans elles nous ne pourrions jouir de la liberté préconisée par l’anarchisme. Qu’on se rappelle bien que la liberté visée par l’anarchisme est la liberté de ne pas faire socialement ce dont on n’a pas besoin; la liberté pour chacun de n’être astreint par aucune organisation à aucune entreprise qu’on n’ait choisie soi-même. C’est là toute la liberté anarchiste, pour ainsi dire, et c’est aussi tout l’anarchisme; le reste n’est que question de convenances et d’accords volontaires et circonstanciels.

Tout ce qu’il faut à l’homme pour se garantir une liberté non soumise à l’autorité de qui que ce soit c’est, à part la santé mentale, l’indépendance économique rendue possible par l’égalité des conditions pour utiliser la terre et les dons spontanés de la nature. Cela établi et au moyen d’accords mutuels dans une organisation volontaire, l’homme peut vivre libre et heureux.
Ce n’est pas par l’égalité des fortunes, mais par celle des moyens, ajoutée à la liberté, que s’établira la fraternité. Comment les plus forts et les plus frugaux opprimeraient-ils les plus faibles et moins limités, lorsque les faibles et les incapables seraient suffisamment forts et auraient assez de ressources dans l’égalité des moyens pour rester isolés et être libres.

D’autre part, les craintes manifestées par les individualistes à l’égard du communisme volontairement organisé et réciproquement convenu n’ont aucune raison d’être. Le mutualisme ne comporte pas d’exploitation. Aucun homme n’étant obligé d’accepter certaines conditions, ne peut être exploité: et certainement aucun anarchiste n’a jamais songé à forcer quelqu’un au communisme. Quant au progrès de la race, l’idée que l’appui mutuel l’augmente beaucoup plus qu’autre chose va depuis quelque temps gagnant du terrain; il est donc inutile que nous insistions là-dessus.

Au surplus, il faut considérer comme le produit d’une lamentable et fausse conception de la nature même du progrès social cette compétition pour l’établissement universel d’un système économique spécial. Les choses suivront à l’avenir la ligne de la moindre résistance comme il en a été dans le passé; mais qui saurait signaler la ligne que suivront les multiples nécessités humaines afin d’obtenir une satisfaction adéquate?
L’espace suffit largement à l’activité des communistes et des individualistes: tel est l’anarchisme.