G.P. de Bellis, considérations gén. sur la rencontre int. de l’Anarchisme 2012

 

Gian Piero de Bellis. Considérations Générales sur la
Rencontre Internationale de l’Anarchisme . Saint-Imier, 8-12 Août 2012). 203

Note

Pendant le mois d’août 2012 il y a eu à Saint-Imier (Jura Suisse) une rencontre internationale des anarchistes pour célébrer le 140ème anniversaire du Congrès de l’Internationale Anti-autoritaire tenu à Saint-Imier le 15-16 Septembre 1872.

Ici il y a des considérations générales sur ce rassemblement.

 


A quelques mois de la Rencontre International de l’Anarchisme (Saint -Imier, 8-12 Août 2012), nous pensons qu’il pourrait être intéressant d’offrir quelques considérations générales.
Les considérations portent sur :

– l’organisation du rassemblement
– la typologie des participants
– les contenus des interventions et des discussions

 

Organisation du rassemblement

L’idée que l’anarchie est un chaos et que les anarchistes des personnes totalement désorganisées, comme les présente la propagande des états, a été encore un fois démentie.
En effet, si on pense au fait qu’une des plus importantes fédérations anarchistes, la Fédération Jurassienne, a été créée dans le Jura par des travailleurs du secteur horloger, où la précision est une qualité indispensable, on réaliserait depuis longtemps que les vrais anarchistes ont la passion de l’organisation et de la précision. La différence avec les étatistes est que les anarchistes refusent une organisation imposée parce qu’ils sont capables de s’auto-organiser et sont convaincus qu’une organisation volontaire est non seulement possible mais aussi largement plus performante.

L’organisation du RIA (Rencontre Internationale de l’Anarchisme) a fonctionné très bien par rapport à toute une série de problèmes pratiques : accommodation, repas, rencontres, signalisation, traductions, etc…, cela même quand les moyens n’étaient pas du tout sophistiqués. Par exemple, pour les traductions dans certains séminaires, les gens se sont regroupés par secteur linguistique et quelqu’un du public s’est offert pour traduire ce que les intervenants disaient dans leur langue. On a eu un mélange de français, allemand, suisse allemand, italien, anglais, espagnol, qui a été tout à fait extraordinaire.

Les habitants de Saint-Imier, passé la perplexité initiale de certains d’entre eux, ont à la grande majorité répondu avec sympathie et chaleur à l’initiative.
Les autorités et les organisations culturelles de la ville ont été d’un grand soutien en mettant, entre autre à disposition des salles de rencontre.

Alors, du point de vue de l’organisation tout semble avoir marché très bien et cela est de bon augure pour le futur, au cas où d’autres rassemblements d’anarchistes se feraient à Saint Imier.

 

Typologie des participants

Les gens qui ont participé  au rassemblement venaient vraiment de partout. Bien sûr la plupart étaient Européens mais d’autres continents étaient aussi représentés.
Sur la base de rencontres et de conversations personnelles, il est possible de présenter une typologie des participants mais qui n’a pas un caractère scientifique.
La typologie des participants est la suivante :

– anarchistes de long durée et représentants classiques de l’anarchie. Ce sont des gens qui ont su maintenir vivante la pensée anarchiste même quand elle était décriée par l’Etat ou mise de côté par le marxisme. Ils sont très attachés à la conservation de la tradition classique.

– nouveaux anarchistes, c’est à dire des anarchistes plus jeunes qui animent dans leur pays des centres culturels et qui, dans la tradition classique de l’anarchie, continuent le travail de sensibilisation et information ;

– personnes pas anarchistes mais très attirées par l’idée et qui sont en phase, plus ou mois avancée, de découverte. Ici on a à faire avec gens qui sont moins figés dans le passé, qui ne connaissent pas beaucoup la tradition anarchistes mais qui se rendent compte que l’Etat tel qu’il est actuellement devrait appartenir au passé et qu’on a besoin d’explorer des formes d’organisation sociale où l’Etat a un rôle très réduit ou inexistant.

– les anarchistes de l’apparence. Ce sont des gens qui ont de l’anarchie une idée plutôt sectaire et militaire. Ces gens pensent que c’est leur courant qui représente la vrai anarchie et ce sont eux les vrais anarchistes et que ceux qui ne partagent pas leurs dogmes sont des réactionnaires individualistes et égoïstes. Ils représentent le courant politique de l’anarchie qui n’a presque rien à faire avec l’anarchie en tant que choix libres et volontaires.

A côté de cette typologie on pourrait ajouter des figures folkloriques qu’on pourrait appeler les pseudo-anarchistes des trois D (drinks, drugs, dogs). Ce sont des gens qui se déplacent à travers l’Europe avec leur chien partout où il y a des manifestations où il pourront jouir d’un hébergement pas cher et peut-être de repas presque gratuits. Dans les journaux ce sont ceux qui seront photographiés comme représentants de l’anarchisme car faire une photo de quelqu’un habillé normalement (ce qui est représente une grande majorité des anarchistes) n’aurait pas le même effet. La contribution de ces gens au débat est la plupart du temps nulle et c’est pour cela qu’on les définit ici comme pseudo-anarchistes.

 

Les contenus des interventions et des discussions

Le fait qu’un nombre de gens (qu’on estime à plus de 3000) se soient retrouvés pour débattre d’une idée au passé certes glorieux mais au présent peu enthousiasmant est déjà un succès.
Le fait qu’à présent l’anarchie n’a pas encore trouvé une vraie renaissance et de quoi rebondir a peut-être à voir avec une très faible élaboration du concept par rapport aux nouvelles réalités. Les anarchistes, surtout ceux de vieille école, sont surtout capables de faire référence au passé mais moins d’inventer le futur à la lumière des principes de l’anarchie.

C’est pour cela, probablement, que les présentations et les discussions n’ont pas eu le contenu innovateur auquel on pouvait s’attendre avec la présence d’un si grand nombre d’individus désireux d’une alternative sociale radicale.
Une explication possible est qu’il n’y a pas encore assez de gens nouveaux avec un regard positif à l’égard du passé et de la créativité pour le futur pour avoir des interventions et des discussions très originales.
Les plus préparés des anarchistes, d’un point de vue intellectuel, répètent les recettes et les mots d’ordre du passé ; les plus jeunes, par peur de dire de choses qui ne sont pas dans la ligne de la pensée classique, parlent par slogan et pensent par idées reçues.

Pourtant, la révolution informatique, les nouveaux outils d’apprentissage en ligne, les expériences d’activités partagées dans la production et dans la consommation de biens, de services, d’idées (crowdsourcing, crowdfunding, collaborative creativity, collaborative consumption, etc.) n’a pas eu sa place, ni dans un séminaire, ni dans un débat quelconque, du moins au vu de notre expérience.

Dans une époque où les instruments technologiques de communication et de production permettraient la réalisation de communautés autogérées (sur le modèle de celles que les anarchistes classiques envisageaient), oublier de prendre en considération l’aspect de la technologie et de ses potentialités signifie maintenir l’anarchie dans un état de permanente minorité intellectuelle et de manque de réalisations pratiques.

 

Propositions pour le futur

Sur la base de tout ce qui s’est passé et des considérations critiques ici faites, une série de propositions pour le futur peuvent être avancées dans le but de développer une discussion qui puisse amener à d’autres propositions et aboutir à une sélection puis à un développement pratique.

Le succès du rassemblement du point de vue de l’organisation est la preuve que les anarchistes sont tout à fait capables d’organiser des rencontres dont on sent la nécessité et le besoin. La nécessité parce que ces rassemblement mettent en contact des individus provenant d’expériences culturelles différentes. Le besoin car les gens ont besoin de contact même physique pour renouveler leur enthousiasme vers l’action. Alors l’idée de transformer une célébration occasionnelle en rendez-vous plus fréquent (toutes les années ou tous les deux ans) est une proposition qui vient immédiatement à l’esprit. Clairement, pour que cela puisse se faire, il faudrait que les gens qui ont organisé ce rassemblement se réunissent et examinent  l’idée.

Si un groupe de gens seraient d’accord de rééditer l’événement, alors, deux innovations par rapport au rassemblement d’août 2012 seraient à envisager :

– Choisir, chaque fois, un thème important de la pensé anarchiste et le présenter et débattre à la lumière des réalités courantes à travers des projections vidéos, séminaires, présentations et débats pour arriver, à travers tout cela, à clarifier et mettre à jour certains aspects théoriques et à donner des instruments pour des interventions (projets) pratiques.

– Élargir le débat avec des participants qui, même s’ils ne sont pas anarchistes sont quand même intéressés à mettre fin à l’Etat maître monopolistique des vies de tous (cela surtout dans les pays voisins). Il y a plein de ferments et de désirs de changement aussi dans des champs que certains anarchistes ignorent ou même auquel ils s’opposent et il serait impardonnable dans une stratégie de libération de se renfermer en réaffirmant sa pureté et sa supériorité.