Versailles, Décembre 1871 L’avocat général : il y a lieu de mettre Louise Michel en jugement pour :
1- Attentat ayant pour but de changer le gouvernement ;
2- Attentat ayant pour but d’exciter à la guerre civile en portant les citoyens à s’armer les uns contres les autres ;
3- Pour avoir, dans un mouvement insurrectionnel, porté des armes apparentes et un uniforme militaire, et fait usage de ces armes ;
4- Faux en écriture privée par supposition de personne ;
5- Usage d’une pièce fausse ;
6- Complicité par provocation et machination d’assassinat des personnes retenues soit-disant comme otages par la commune ;
7- Complicité d’arrestations illégales, suivies de tortures corporelles et de morts, en assistant avec connaissance les auteurs de l’action dans les faits qui l’ont consommée.
Crimes prévus par les articles 87, 91, 150, 151, 159, 59, 60, 302, 341, 344 du code pénal et 5 de la loi du 24 mai 1834.
Louise Michel à Satory
Le président : Vous avez entendu les faits dont on vous accuse. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
Louise Michel : Je ne veux pas me défendre, je ne veux pas être défendue. J’appartiens tout entière à la révolution sociale, et je déclare accepter la responsabilité de mes actes. Je l’accepte tout entière et sans restriction. Vous me reprochez d’avoir participé à l’assassinat des généraux ? A cela, je répondrais OUI, si je m’étais trouvée à Montmartre quand ils ont voulu faire tirer sur le peuple. Je n’aurais pas hésité à faire tirer moi-même sur ceux qui donnaient des ordres semblables. Mais, lorsqu’ils ont été faits prisonniers, je ne comprends pas qu’on les ait fusillés, et je regarde cet acte comme une insigne lâcheté !
Quant à l’incendie de Paris, oui j’y ai participé. Je voulais opposer une barrière de flammes aux envahisseurs de Versailles. Je n’ai pas eu de complices pour ce fait. J’ai agi d’après mon propre mouvement.
On dit aussi que je suis complice de la Commune ! Assurément oui, puisque la Commune voulait avant tout la révolution sociale, et que la révolution sociale est le plus cher de mes vœux. Bien plus, je me fais l’honneur d’être un des promoteurs de la Commune qui n’est d’ailleurs pour rien, pour rien qu’on le sache bien, dans les assassinats et les incendies. Moi qui ai assisté à toutes les séances de l’Hôtel de Ville, je déclare que jamais il n’y a été question d’assassinats ou d’incendie. Voulez-vous connaître les vrais coupables? Ce sont les gens de la police, et plus tard, peut-être, la lumière se fera sur tous ces événements dont on trouve aujourd’hui tout naturel de rendre responsables tous les partisans de la révolution sociale.
Un jour, je proposais à Ferré d’envahir l’Assemblée. Je voulais deux victimes, M. Thiers et moi, car j’avais fait le sacrifice de ma vie et j’étais décidée à le frapper.
– Dans une proclamation, vous avez dit qu’on devait, toutes les 24 heures, fusiller un otage ?
– Non, j’ai seulement voulu menacer. Mais pourquoi me défendrais-je ? Je vous l’ai déjà déclaré, je me refuse à le faire. Vous êtes des hommes, vous allez me juger. Vous êtes devant moi à visage découvert. Vous êtes des hommes et moi je ne suis qu’une femme, et pourtant je vous regarde en face. Je sais bien que tout ce que je pourrais vous dire ne changera rien à votre sentence. Donc, un seul et dernier mot avant de m’asseoir. Nous n’avons jamais voulu que le triomphe de la Révolution. Je le jure par nos martyrs tombés sur le champ de Satory, par nos martyrs que j’acclame encore ici hautement, et qui un jour trouveront bien un vengeur. Encore une fois, je vous appartiens. Faites de moi ce qu’il vous plaira. Prenez ma vie, si vous la voulez ; je ne suis pas femme à vous la disputer un seul instant.
– Vous déclarez ne pas avoir approuvé l’assassinat des généraux et cependant on raconte que, quand on vous l’apprit, vous vous êtes écriée : « On les a fusillés, c’est bien fait ! »
– Oui, j’ai dit cela, je l’avoue. Je me rappelle même que c’était en présence des citoyens Le Moussu et Ferré.
– Vous approuviez donc l’assassinat ?
– Permettez ! Cela n’en est pas une preuve. Les paroles que j’ai prononcées avaient pour but de ne pas arrêter l’élan révolutionnaire.
– Vous écriviez aussi dans les journaux, dans « Le Cri du Peuple », par exemple ?
– Oui, je ne m’en cache pas.
– Ces journaux demandaient chaque jour la confiscation des biens du clergé et autres mesures révolutionnaires semblables. Telles étaient donc vos opinions?
– En effet ! Mais remarquez que nous n’avons jamais voulu prendre ces biens pour nous. Nous ne songions qu’à les donner au peuple pour le bien-être.
– Vous avez demandé la suppression de la magistrature ?
– C’est que j’avais devant les yeux les exemples de ses erreurs. Je me rappelais l’affaire Lesurques et tant d’autres.
– Vous reconnaissez avoir voulu assassiner M.Thiers ?
– Parfaitement… Je l’ai dit et je le répète.
– Il paraît que vous portiez divers costumes sous la Commune ?
– J’étais vêtue comme d’habitude. Je n’ajoutais qu’une ceinture rouge sur mes vêtements.
– N’avez-vous pas porté plusieurs fois un costume d’homme ?
– Une seule fois, c’était le 18 mars : je m’habillais en garde national, pour ne pas attirer les regards.
Peu de témoins ont été assignés, les faits reprochés à Louise Michel n’étant pas discutés par elle.
Me Haussman, à qui la parole est ensuite donnée, déclare que devant la volonté formelle de l’accusée de ne pas être défendue, il s’en rapporte simplement à la sagesse du conseil.
Le Président : Accusée, avez-vous quelques choses à dire pour votre défense ?
Louise Michel : Ce que je réclame de vous, qui vous affirmez conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission des grâces, de vous qui êtes des militaires et qui jugez à la face de tous, c’est le champ de Satory où sont déjà tombés nos frères ! Il faut me retrancher de la société. On vous dit de le faire. Eh bien, le commissaire de la république a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame une part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la commission des grâces…
Le Président : Je ne puis vous laisser la parole, si vous continuez sur ce ton !
Louise Michel : J’ai fini ! Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi !
Après ces paroles qui ont causé une profonde émotion dans l’auditoire, le conseil se retire pour délibérer. Au bout de quelques instants, il rentre en séance et, aux termes du verdict, Louise Michel est à l’unanimité condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée. On ramène l’accusée et on lui donne connaissance du jugement. Quand le greffier lui dit qu’elle a 24 heures pour se pouvoir en révision :
Non ! s’écrie-t-elle, il n’y a point d’appel ; mais je préférerais la mort !
La Gazette des Tribunaux, décembre 1871.
1879, Louise Michel est déportée en Kanakie, elle y développera des écoles pour les enfants de nouvelle Calédonie.